Quelques contes bouddhiques

 

Les aveugles et l'éléphant
Autrefois, le Bouddha séjournait au Jetavana, dans le royaume de Sravasti. A l'heure du repas les moines prirent leurs bols et se rendirent en ville pour y mendier de la nourriture. Cependant comme il n'était pas encore midi et qu'il était trop tôt pour entrer en ville, ils décidèrent d'aller s'asseoir un moment dans la salle où se réunissaient les brahmanes, ils prirent des sièges et s'assirent.
A ce moment, les brahmanes discutaient entre eux à propos de leurs livres saints et il s'était formé une contestation qu'ils ne parvenaient pas à résoudre. Ils en étaient arrivés à se blâmer et à se haïr les uns les autres, se disant mutuellement : " Ce que nous savons est loi ; ce que vous savez, comment serait-ce la loi? Ce que nous savons est en accord avec la doctrine ; ce que vous savez, comment serait-ce en accord avec la doctrine? Ce qu'il faut dire après, vous le dites avant. Votre science est vaine et vous n'avez pas la moindre connaissance. " C'est ainsi qu'ils se portaient des coups avec l'arme de la langue et, pour une blessure reçue, ils en rendaient trois. Les moines, entendirent les deux parties s'injurier, n'attestèrent aucune des opinions mais se levèrent de leur siège et partirent mendier leu nourriture en ville.
De retour à Jetavana, ils s'assirent auprès de Bouddha et lui racontèrent ce qui s'était passé. Le Bouddha raconta cette histoire :
Il y a fort longtemps, il y avait un roi qui comprenait la Loi bouddhique mais dont les sujets, ministres ou gens du peuple, étaient dans l'ignorance, se référant à des enseignements partiels, ayant foi dans la clarté du ver luisant et mettant en doute la clarté du soleil et de la lune. Le roi, désirant que ces gens cessent de rester dans des mares et aillent naviguer sur le grand océan, décida de leur montrer un exemple de leur aveuglement. Il ordonna donc à ses émissaires de parcourir le royaume pour rassembler ceux qui étaient aveugles de naissance et les amener au palais.
Quand les aveugles furent réunis dans la salle du palais le roi dit : " Allez leur montrer des éléphants. " Les officiers menèrent les aveugles auprès des éléphants et leur montrèrent en guidant leurs mains. Parmi les aveugles, l'un d'eux saisit la jambe de l'éléphant, un autre saisit la queue, un autre saisit la racine de la queue, un autre toucha le ventre, un autre, le côté, un autre, le dos, un autre prit une oreille, un autre, la tête, un autre, une défense, un autre, la trompe.
Les émissaires ramenèrent ensuite les aveugles vers le roi qui leur demanda : " A quoi ressemble un éléphant? " Celui qui avait tenu une jambe répondit : " O sage roi, un éléphant est comme un tuyau verni. " Celui qui avait tenu la queue dit que l'éléphant était comme un balai ; celui qui avait saisit la racine de la queue, qu'il était comme un bâton ; celui qui avait touché le ventre, qu'il était comme un mur ; celui qui avait touché le dos, qu'il était comme une table élevée ; celui qui avait touché l'oreille, qu'il était comme un plateau ; celui qui avait tenu la tête, qu'il était comme un gros boisseau ; celui qui avait tenu une défense, qu'il était comme une corne ; quant à celui qui avait tenu la trompe, il répondit " O grand roi, un éléphant est comme une corde. "
Les aveugles se mirent alors à se disputer, chacun affirmant qu'il était dans le vrai et les autres non, disant " O grand roi, l'éléphant est réellement comme je le décris. "
Le roi rit alors aux éclats et dit : " Vous tous, comme ces aveugles vous êtes. Vous vous disputez vainement et prétendez dire vrai ; ayant aperçu un point, vous dites que le reste est faux, et à propos d'un éléphant, vous vous querellez. "
Le Bouddha dit aux moines : " Ainsi sont ces brahmanes. Sans sagesse, et à cause de leur cécité, ils en arrivent à se disputer. Et à cause de leur dispute, ils restent dans l'obscurité et ne font aucun progrès. "

 

L'homme blessé par la flèche
Autrefois, il y avait un moine qui réfléchissait et méditait sur les quatorze questions difficiles telles que le monde et le moi sont-ils éternels ou non éternels, sont-ils finis ou infinis, le sage existe-t-il ou n'existe-t-il pas après la mort? etc. Il ne parvenait pas à pénétrer ces questions et il en éprouvait de l'impatience. Prenant son habit et son bol à aumônes, il se rendit auprès du Bouddha et lui dit : " Si le Bouddha peut m'expliquer ces quatorze questions difficiles et satisfait mon intelligence, je demeurerai son disciple ; s'il ne parvient pas à me les expliquer, je chercherai une autre voie. "
Le Bouddha répondit à ce fou : " Au début, as-tu convenu avec moi que, si je t'expliquais les quatorze questions difficiles, tu serais mon disciple ? " Le moine répondit que non. Le Bouddha reprit : " Fou que tu es ! Comment peux-tu dire aujourd'hui que, si je ne t'explique pas cela, tu ne seras plus mon disciple ? C'est pour les hommes atteints par la vieillesse, la maladie et la mort que je prêche la Loi afin de les sauver. Ces quatorze questions difficiles sont des sujets de dispute ; elles ne profitent pas à la Loi et ne sont que vaines discussions. Pourquoi me poser ces questions ? Si je te répondais, tu ne comprendrais pas ; arrivé à l'heure de la mort, tu n'aurais rien saisi et tu n'aurais pas pu te libérer de la naissance, de la vieillesse, de la maladie, et de la mort. "
Un homme a été frappé d'une flèche empoisonnée ; ses parents et son entourage ont appelé un médecin pour extraire la flèche et appliquer un remède. Et le blessé de dire au médecin : " Je ne permets pas que tu extraie la flèche avant que je sache quel est ton clan, ton nom, ta famille, ton village, tes père et mère et ton âge ; je veux savoir de quelle montagne provient la flèche, quelle est la nature de son bois et de ses plumes, qui a fabriqué la pointe de la flèche, et quel en est le fer ; ensuite je veux savoir si l'arc est en bois de montagne ou en corne d'animal ; enfin je veux savoir d'où provient le remède et quel est son nom. Après que j'aurai appris toutes ces choses, je te permettrai d'extraire la flèche et d'appliquer le remède. "
Le Bouddha demanda au moine : " Cet homme pourra-t-il connaître toutes ces choses et, après seulement, laisser enlever la flèche ? " Le moine répondit : " L'homme ne parviendra pas à savoir cela, car s'il attendait de tout savoir, il serait mort avant l'opération. " Le Bouddha reprit : " Tu es comme lui : la flèche des vues fausses, enduite du poison du désir et de la convoitise, a percé ton esprit ; je veux t'arracher cette flèche, à toi qui est mon disciple ; mais toi, tu refuses que je te l'enlève et tu veux chercher à savoir si le monde est éternel ou non éternel, fini ou non fini, etc. Tu ne trouveras pas ce que tu cherches, mais tu perdras la vie de sagesse ; tu mourras comme un animal et tu seras précipité dans les ténèbres. "
Le moine, peu à peu, comprit à fond les paroles du Bouddha et il obtint la Voie.

 

La vieille mère et son fils mort
Jadis, il y avait une vieille mère. Elle n'avait qu'un seul fils qui tomba malade et mourut ; elle le transporta au cimetière et déposa là le cadavre. Elle était pénétrée d'une tristesse qu'elle ne pouvait surmonter. Elle se disait : " Je n'avais qu'un seul fils pour veiller sur ma vieillesse et il est mort en m'abandonnant ; à quoi me sert-il de vivre ? Puisque je ne puis le faire revenir, il faut que j'unisse ma destinée à la sienne dans ce lieu. " Elle cessa de boire et de manger : quand cela eut duré pendant quatre ou cinq jours, le Bouddha le sut et, à la tête de cinq cent moines, il alla dans le cimetière.
La vieille mère vit de loin venir le Bouddha avec son imposante majesté lumineuse ; elle s'éveilla de son engourdissement et sa stupeur se dissipa ; elle s'avança devant le Bouddha et se tint en sa présence en se prosternant. Le Bouddha dit à la vieille mère : " Pourquoi êtes-vous dans le cimetière ? " Elle expliqua au Bouddha ce qui s'était passé en disant : " Je n'avais qu'un seul fils : il a terminé ses jours en m'abandonnant : telle est la force de mes sentiments d'affection que je désire mourir avec lui en ce lieu. "
Le Bouddha dit à la vieille mère : " Désireriez-vous faire que votre fils revienne à la vie ? " La mère répondit : " Ce serait excellent, je voudrais l'obtenir. " Le Bouddha lui dit : " Cherchez des parfums et du feu ; je prononcerai une invocation pour le faire revivre. " Il avertit la vieille mère que, lorsqu'elle demanderait du feu, elle devrait obtenir le feu d'une famille où il n'y aurait pas eu de mort.
Alors la vieille mère se mit en marche pour trouver du feu. Quand elle voyait un homme, elle lui demandait : " Dans votre famille, y a-t-il eu à quelque moment des morts ? " On lui répondait : " Depuis nos premiers ancêtres jusqu'à aujourd'hui, les gens de notre famille sont tous morts. " Dans tous les endroits qu'elle traversa en posant la question, la réponse fut la même ; elle passa par plusieurs dizaines de familles sans pouvoir prendre de feu et revint alors à l'endroit où se tenait le Bouddha. Elle lui dit : " J'ai été partout pour demander du feu, mais il n'y a point de famille où il n'y a pas eu de morts. C'est pourquoi je reviens les mains vides. "
Le Bouddha dit à la vieille mère : " Depuis l'origine de l'univers, il n'est pas de vivant qui ne soit mort. Puisque les hommes meurent, ceux qui leur succèdent dans la vie, quel plaisir peuvent-ils y trouver ? O mère, pourquoi dans votre aveuglement désirez-vous faire revivre votre fils ? "
L'intelligence de la mère s'ouvrit alors et elle connut la réalité de l'impermanence. Le Bouddha lui expliqua alors la doctrine et elle obtint la sagesse de ceux entrés dans le courant. Dans le cimetière, plusieurs milliers de personnes qui furent témoins de cela conçurent la pensée de la sagesse droite et vraie qui n'a pas de supérieure.


L'homme dans le puits
Autrefois, un homme avait été condamné à mort pour quelque affaires. Comme il était attaché dans sa prison, il craignit de mourir et parvint à s'enfuir ; d'après les lois du royaume, quand un condamné à mort s'évadait, on lâchait un éléphant furieux pour qu'il le tuât en le foulant aux pieds. On lâcha donc un éléphant furieux à la poursuite de ce criminel ; celui-ci, voyant que l'éléphant allait l'atteindre, courut s'introduire dans un puits très profond. En bas était un grand dragon venimeux qui tournait vers le haut sa gueule grande ouverte ; des quatre côtés du puits étaient quatre serpents venimeux ; il y avait une racine à laquelle le condamné, saisi de terreur, s'était cramponné de toutes ses forces, mais deux rats blancs la rongeaient.
Or, au-dessus du puits, se trouvait un grand arbre où il y avait du miel. En l'espace d'un jour, une seule goutte de ce miel tombait dans la bouche de cet homme, mais quand il eut obtenu cette unique goutte, il ne songea qu'à ce miel sans plus se préoccuper des maux de toutes sortes qui l'environnaient et même il ne désira plus sortir de ce puits.
C'est pourquoi un saint homme a pris son histoire pour en faire un apologue. La prison, c'est les trois mondes où sont emprisonnés tous les êtres vivants ; l'éléphant furieux est l'impermanence ; le puits est la demeure de tous les êtres vivants ; le dragon venimeux qui se trouve au fond représente les enfers ; les quatre serpents venimeux sont les quatre éléments dont est composé le corps humain ; la racine est la tige de la vie humaine ; les rats blancs sont le soleil et la lune qui dévorent la vie en sorte que jour après jour elle s'abrège sans répit. Cependant tous les êtres vivants s'attachent avec avidité aux joies de ce monde et ne songent pas aux grands maux. C'est pourquoi l'homme qui pratique la Voie doit considérer l'impermanence afin de s'affranchir de la multitude des souffrances.

 

Le bodhisattva et la tigresse
Le Bodhisattva était un ascète détaché des choses de ce monde. Il demeurait constamment dans les régions désertes des montagnes, il s'appliquait uniquement à méditer sur la sagesse et ne commettait aucun des actes mauvais. Il mangeait des fruits, buvait de l'eau et ne mettait absolument rien en réserve. Il songeait avec bienveillance à tous les êtres vivants qui, par leur ignorance et leur folie, se perdent ; chaque fois qu'il voyait l'un d'eux en péril, il sacrifiait sa vie pour le sauver.
Un jour qu'il était allé chercher des fruits, il rencontra sur son chemin une tigresse qui allaitait ses petits. Après qu'elle eut allaité, elle fut très épuisée et n'eut rien à manger ; affolée par la faim, elle voulut revenir dévorer ses propres petits. En voyant cela, le Bodhisattva fut ému de pitié ; il songea avec compassion à tous les êtres vivants qui endurent pendant leur séjour dans le monde des souffrances infinies ; qu'une mère et ses petits s'entre-dévorassent, il en éprouvait une douleur inexprimable ; sanglotant et versant des larmes, il se tournait et regardait de tous côtés pour chercher ce qui pourrait nourri la tigresse et sauver ainsi la vie de ses petits, mais il ne vit absolument rien.
Il pensa alors en lui-même : " Le tigre est un animal qui mange de la chair. " Puis en réfléchissant profondément, il ajouta : " Si j'ai formé la résolution d'étudier la sagesse, c'est uniquement en vue du bien de tous les êtres vivants ; ils se perdent dans de terribles souffrances et j'ai voulu les sauver, faire en sorte qu'ils obtiennent le bonheur et que leur vie soit perpétuellement tranquille. Pour moi, quand plus tard je mourrai de vieillesse, l'agrégat de mon corps devra être abandonné ; mieux vaut donc faire don avec bienveillance afin de secourir les autres êtres et d'accomplir acte de vertu. "
Sur ce, il se jeta la tête la première dans la gueule du tigre ; s'il lui présenta sa tête, c'est parce qu'il désirait faire en sorte qu'il mourût promptement et qu'il ne s'aperçût pas de la souffrance. La tigresse et ses petits furent ainsi tous sauvés.
Tous les Bouddhas louèrent la vertu du Bodhisattva et son mérite pour lequel il égalait les plus grands saints. Tous les êtres qui sont doués de sagesse furent émus ; ils conçurent l'esprit d'éveil et firent le vœu de rester dans ce monde d'impuretés afin de guider les dieux et les hommes, de sauver les êtres pervers et de ramener les êtres égarés à la sagesse.

 

La patience du moine Ksanti
Autrefois, il y avait un moine nommé Ksanti, qui retiré dans une grande forêt, cultivait la patience et pratiquait la bienveillance. Un jour le roi Kali, suivi de ses courtisanes, entra dans la forêt pour s'y promener et s'y divertir. Son repas terminé, le roi s'arrêta pour dormir un peu. Les courtisanes, se promenant dans la forêt en fleur, aperçurent le moine, lui présentèrent leurs hommages et prirent place à ses côtés. Alors Ksanti leur fit l'éloge de la patience et de la bienveillance ; ses paroles étaient si belles que ces femmes ne se lassaient pas de l'entendre et restèrent longtemps près de lui.
Le roi Kali s'éveilla et, ne voyant plus ses courtisanes, saisit son épée et suivit leurs traces. Lorsqu'il les vit assises autour du moine, sa jalousie amoureuse déborda ; les yeux furieux et brandissant son épée, il demanda au moine : " Que fais-tu là ? " Ksanti répondit : " Je suis ici pour cultiver la patience et pratiquer la bienveillance. " Le roi lui dit : " Je vais aussitôt te mettre à l'épreuve. Avec mon épée, je te couperai les oreilles, le nez et jusqu'aux mains et aux pieds. Si tu ne t'irrites pas, je saurai que tu cultives la patience. " Le moine répondit : " Fais à ta guise. "
Alors le roi tira son épée et lui coupa les oreilles, le nez, puis enfin les mains et les pieds, tout en lui demandant : " Ton esprit est-il agité? " Ksanti répondait : " Je cultive la bienveillance et la patience ; mon esprit n'est pas agité. " Le roi lui dit : " Ton corps est là, sans force ; tu dis bien que ton esprit n'est pas agité, mais qui pourrait te croire ? " Alors Ksanti fit ce serment : " Si je cultive vraiment la bienveillance et la patience, que mon sang devienne du lait. " Aussitôt son sang se changea en lait ; le roi, stupéfait, s'en alla avec ses courtisanes. Mais alors, dans la forêt, un roi-dragon, prenant parti pour le moine, tonna et lança la foudre ; le roi, grièvement atteint, s'écroula et ne rentra pas dans son palais.

 

Le Bodhisattva qui s'enfonce une aiguille dans chaque pore de la peau
Autrefois, le Bodhisattva était un homme du commun. Il entendit parler des noms du Bouddha, de ses marques distinctives primaires et secondaires, de la force de sa sagesse. Il entendit raconter que ses actions méritoires et vertueuses étaient fort élevées, que tous les dieux le vénéraient et que ceux qui prenaient comme règle sa noble conduite voyaient tous les maux s'anéantir pour eux.
Le Bodhisattva sanglotait et pleurait sans relâche en ayant cette pensée dans son esprit : " Puissé-je obtenir de lui les règles sacrées pour m'y exercer et les mettre en pratique afin que je devienne Bouddha, que je guérisse tous les êtres de leurs maladies et que je les fasse parvenir à leur pureté primitive. " Or, en ce temps, le Bouddha était loin du monde, il n'y avait pas d'assemblée de religieux, personne n'avait les moyens de recevoir des instructions.
Dans le voisinage du Bodhisattva se trouvait un homme du commun dont le caractère était avide et méchant. Voyant l'ardeur que le Bodhisattva mettait dans sa résolution de pratiquer l'énergie, il lui dit : " Je connais des stances contenant trois préceptes du Bouddha ; désirez-vous les recevoir ? " En entendant ces paroles, le Bodhisattva éprouva une joie sans limites, il se prosterna aux pieds de l'autre et, étendu à terre, il lui implora de lui donner les préceptes.
Celui qui connaissait les stances lui dit : " C'est là un enseignement essentiel du maître qui guide les dieux et les hommes. Vous voudriez l'entendre sans qu'il ne vous en coûtât rien. Comment serait-ce admissible ? " Le Bodhisattva répondit : " Veuillez me faire savoir quelle est la cérémonie religieuse qu'il faut observer ? " L'autre lui dit : "Si vous êtes vraiment sincère, dans chacun des trous de votre corps où il y a un poil enfoncez une aiguille. Si, quand le sang inondera votre corps, votre esprit souffrant ne regrette rien, vous serez digne d'entendre les véritables enseignements." Le Bodhisattva répliqua : "Si, pour entendre le Bouddha, je devais mourir, je le ferais avec joie : à combien plus forte raison s'il ne s'agit que de percer mon corps tout en conservant la vie."
Alors il prit des aiguilles à coudre pour s'en percer le corps. Son sang jaillissait comme une source ruisselante, mais le Bodhisattva, joyeux à l'idée d'entendre la Loi, avait obtenu la contemplation qui fait qu'on éprouve pas de douleur. Sakra, souverain des dieux, percevant l'ardeur de la résolution du Bodhisattva, eut de la compassion pour lui et, par miracle, il fit en sorte que, dans chaque trou de son corps où il y avait un poil, il y eût une aiguille.
L'autre homme, voyant cela, aperçut clairement la hauteur de sa résolution et lui donna l'enseignement promis : "Veillez sur votre bouche, gouvernez votre pensée, que votre corps ne fasse pas le mal. Si vous affranchissez de ces trois actions fautives, vous obtiendrez la sagesse et vous serez sauvé. Tel est l'enseignement véridique des préceptes qui produisent l'éveil sans attachement, parfaitement vrai, vénérable et suprêmement correct de tous les Tathagatas."
En entendant les préceptes, le Bodhisattva se réjouit et se prosterna. Puis, jetant les yeux sur son corps, il s'aperçut que les aiguilles avaient soudainement disparu ; son visage était fort beau et sa vigueur plus grande qu'auparavant. Les dieux, les hommes, les démons et les nagas étaient tous pénétrés de joie. Quant à lui, résolu à progresser et agissant avec noblesse, il avança sans discontinuer, pas à pas, et ainsi il parvint à la dignité de Bouddha et put secourir tous les êtres.

 

L'homme riche et le rat mort
Autrefois, le Bodhisattva était un grand maître de maison ; ses richesses accumulées égalaient celles du roi ; il se plaisait constamment à secourir les pauvres ; sa bonté atteignait tous les êtres vivants ; il acceptait tous ceux qui se réfugiaient auprès de lui, de même que la mer reçoit en elle les cours d'eau. Or, le fils d'un de ses amis, par sa conduite déréglée, en vint à dissiper tout son patrimoine ; le maître de maison eut pitié de lui et lui donna ces instructions : "Si vous pratiquez votre profession avec sagesse, vous en retirerez un bonheur et des avantages infinis. Je vous donne mille onces d'or pour que cela vous serve de capital." L'autre répondit qu'il acceptait avec respect et qu'il ne se permettrait pas de contrevenir à ces prudents avertissements ; il se mit ensuite à faire le commerce.
Cependant le caractère de cet homme était pervers et sa conduite était partiale ; il aimait rendre un culte aux démons et aux êtres malfaisants ; il s'adonnait sans mesure au vin et à la joie ; ayant épuisé tout son argent, il redevint pauvre. Cela se répéta à cinq reprises, et cinq fois il dépensa tout ce qu'il avait ; à bout de ressource, il revint encore demander la protection du maître de maison. Précisément alors, sur un tas de fumier qui était devant la porte de ce dernier, il y avait un rat mort ; le maître de maison le lui montra en disant : "Un homme de bien qui serait intelligent pourrait gagner sa vie et faire fortune avec ce rat mort, tandis que vous, même avec mille onces d'or, vous vous laissez réduire à la misère. Maintenant, je vais vous donner encore une fois mille onces d'or."
Or, un mendiant était à quelque distance et entendit ses enseignements. Tout déconcerté, il se sentit ébranlé ; il s'avança pour mendier de la nourriture, puis s'en alla en emportant ce rat. Pour se conformer aux excellentes instructions qu'il avait entendues, il mendia tous les assaisonnements nécessaires, les combina et fit rôtir son rat qu'il vendit pour deux pièces de monnaie ; avec cela, il fit ensuite le commerce de légumes et se procura plus de cents pièces de monnaie ; partant de peu pour arriver à de brillants résultats, il devint un homme fort riche.
Un jour qu'il était seul, il songea à ceci : "J'étais au début un mendiant, comment ai-je pu me procurer une telle fortune ?" Il comprit soudain et dit : "C'est parce que le sage maître de maison a donné une leçon à cet autre sot que j'ai pu acquérir ces richesses ; or celui qui reçoit un bienfait et ne s'en montre pas reconnaissant peut être appelé un ingrat." Il fit alors une table d'argent ; il fit en outre un rat d'or et, après lui avoir rempli le ventre de toutes sortes de joyaux, il le posa sur cette table en l'entourant d'une foule de parures précieuses ; il disposa toutes sortes d'aliments délicats ; il offrit le tout en présent à ce maître de maison et lui exposa pourquoi il le faisait en lui disant : "Maintenant, je m'acquitte envers votre bonté céleste." Le maître de maison lui réplique : "Excellent vraiment est l'homme qu'on peut instruire." Il lui donna alors sa fille en mariage et lui confia sa demeure et tous ses biens.

 

La marmite d'or
Dans un temple du Bouddha, il y avait une marmite d'or dont on se servait pour faire cuire les aliments des cinq saveurs qu'on offrait aux religieux. En ce temps, un homme du commun entra dans le temple, aperçut la marmite d'or et désira la dérober. Ne trouvant pas le moyen de la voler, il revêtit des habits religieux, se prétendit moine et s'introduit dans l'assemblée des religieux.
Il entendit le supérieur qui enseignait à propos de la doctrine, en donnant les preuves essentielles des peines et des récompenses, de la vie et de la mort, et en démontrant que la rétribution suit l'acte comme l'ombre suit le corps et comme l'écho suit le son sans qu'on puisse y échapper. Le voleur sentit sa conscience s'éveiller et se repentit. Il décida d'appliquer son esprit à l'enseignement et aperçut les traces de la Voie. Songeant à la cause de sa conversion, il se dit que c'était la marmite qui avait été son maître. Il eut donc soin d'adorer la marmite en tournant trois fois autour d'elle et il expliqua toute l'affaire à l'assemblée des moines.
Ainsi, l'éveil a pour chaque homme ses causes particulières. Celui qui applique son esprit à une seule d'entre elles ne peut manquer d'apercevoir la vérité.

 

Ô souffrance
Autrefois, il y avait un mari et une femme qui tous deux observaient les préceptes et servaient les religieux. Or, un moine, qui commençait ses études et ne connaissaient pas la doctrine, vint à leur porte pour mendier. Le mari et la femme invitèrent le moine à entrer dans leur demeure et à s'asseoir. Ils lui préparèrent de la nourriture et quand il eut mangé, ils se prosternèrent et lui dirent : "Depuis notre jeunesse nous servons les religieux, mais nous n'avons pu encore entendre la doctrine ; nous souhaitons que vous nous délivriez de notre ignorance et de notre incapacité."
Le moine baissa la tête et, ne sachant que répondre, ne put que prononcer ces mots : "O souffrance, ô souffrance !" Le mari et la femme comprirent alors qu'il disait que, dans le monde, il n'y a en réalité que souffrance et aussitôt ils obtinrent une certaine part de sagesse. Le moine, voyant la joie de ces deux personnes, obtint lui aussi quelques traces de sagesse.

 

Le moine qui lèche ses excréments
Autrefois, des moines se tenaient en un lieu saint et pur. Or, l'un d'entre eux fit ses excréments dans cet endroit pur. Un autre moine, de tempérament irritable, s'en aperçut et, voulant que tout le monde le sache, lécha les excréments avec sa langue afin de la montrer à tous. Quoique son intention fût de mettre en évidence la faute d'un autre, il ne comprit pas qu'il souillait lui-même sa bouche.
Cette histoire montre que l'homme qui se plaît à dénoncer les péchés d'autrui est comparable à ce religieux. Il croit seulement mettre en évidence les fautes des autres et ne comprend pas qu'il se dégrade lui-même.

 

C'est merveilleux !
Autrefois, il y eut un roi qui abandonna son royaume pour devenir religieux. Au milieu des montagnes, il se livrait à la méditation. Avec des herbes il avait confectionné une hutte et une natte qui formaient son entière demeure.
Il songea à sa vie présente et s'écria en éclatant de rire : "C'est merveilleux !" Un autre religieux, qui était à côté de lui, lui demanda : "Vous vous émerveillez de votre joie. Or, maintenant, vous êtes seul, assis dans la montagne, à étudier la sagesse. Quelle joie pouvez-vous avoir ?"
Le religieux répondit : "Du temps que j'étais roi, j'avais beaucoup de soucis. Tantôt je craignais qu'un roi voisin ne m'enlevât mon royaume ; tantôt je craignais que des gens ne viennent me dépouiller de mes richesses ; tantôt je craignais d'être l'objet de la cupidité des hommes. Constamment je redoutais que mes sujets ne fussent avides de mon argent et de mes joyaux et ne se révoltent. Maintenant que je suis devenu religieux, il n'y a personne qui ait à mon égard des sentiments de cupidité. Je m'en émerveille plus qu'on ne saurait le dire. C'est pourquoi je dis : "C'est merveilleux !"

 

L'arbre d'immortalité
Autrefois, un homme avait entendu raconter que, dans un royaume étranger, se trouvait une rivière d'immortalité ; celui qui s'y trempait devenait immortel. Il se dirigea donc vers se royaume étranger et s'arrêta pour passer la nuit dans une maison. Son hôte, lui ayant demandé où il voulait aller, il lui répondit qu'il allait étudier l'art de devenir immortel. L'hôte conçut alors de mauvais desseins et lui dit : "Je possède un arbre d'immortalité. Si vous pouvez vous mettre à mon service pendant un an pour faire les rudes ouvrages, je vous donnerai l'immortalité ; pourquoi prendriez-vous la peine d'aller au loin?" Le voyageur approuva la proposition et pendant un an, il fit tous les plus rudes travaux que lui donnait son hôte sans jamais manifester le moindre déplaisir.
Quand l'année fut écoulée, l'hôte qui n'avait eu que l'intention de le tromper et qui ne possédait aucun arbre d'immortalité, le mena au milieu des montagnes et lui indiqua un arbre sur le bord d'un précipice en lui disant : "Voici l'arbre d'immortalité. Montez au sommet et, dès que je vous crierai de voler, jetez-vous dans le vide." Le voyageur, dont la foi était absolue, monta sur l'arbre et, au commandement de l'autre, se jeta dans le vide, s'éleva dans les airs et obtint ainsi le secret de l'immortalité.
En voyant cela, son hôte pensa : "Je voulais le faire périr mais je ne savais pas que c'était précisément un arbre d'immortalité." Il se mit donc à faire grand cas de cet arbre et quelque temps plus tard il se rendit avec son fils au pied de cet arbre. Le fils céda à son père le privilège de monter le premier, puis le fils cria : "Père, volez !" Le père aussitôt voulut voler, mais il tomba dans le précipice et son corps fut réduit en bouillie.

 

L'homme entre deux âges
Il y avait un homme entre deux âges dont certains cheveux étaient encore noirs et d'autres déjà blancs ; il possédait deux épouses. Étant allé chez la plus jeune, celle-ci lui dit : "Je suis jeune et vous êtes vieux ; je n'ai pas de plaisir à demeurer avec vous ; il vous faut aller habiter chez votre épouse âgée."
Pour pouvoir rester avec elle il s'arracha des cheveux blancs.
Étant allé ensuite chez son épouse âgée, celle-ci lui dit : "Je suis vieille et ma tête est blanche ; je n'aime pas vous voir avec vos cheveux noirs sur la tête.". Il s'arracha donc des cheveux noirs. Comme il répétait incessamment ce manège, sa tête devint entièrement chauve ; ses deux épouses le trouvèrent alors affreux et toutes deux le quittèrent : il s'abîma dans le chagrin jusqu'à en mourir.
Cet homme, dans les temps passés avait été un chien qui vivait entre deux temples dont l'un était à l'est de la rivière et l'autre à l'ouest. Quand le chien entendait le son du métal qui annonçait les repas, il allait aussitôt dans le temple où on avait frappé le métal pour y obtenir de la nourriture. Or, un jour, les deux temples firent résonner en même temps la plaque de métal. Le chien se jeta dans la rivière pour la traverser ; mais quand il voulait aller à l'ouest, il craignait que la nourriture du temple de l'est ne fût meilleure ; quand il allait vers l'est, il craignait que la nourriture du temple de l'ouest ne fût meilleure ; en hésitant ainsi, il finit par périr noyé dans la rivière.

 

Les reflets dans la jarre
Le fils d'un notable venait de se marier ; les deux époux s'aimaient et s'estimaient beaucoup. Le mari dit à sa femme : "Allez dans la cuisine et prenez du vin de raisin que vous apporterez pour que nous le buvions ensemble." La femme y alla et elle ouvrit la jarre ; elle vit dans cette jarre le reflet de sa propre personne et pensa qu'il y avait une autre femme. Fort en colère, elle revint dire à son mari : "Vous aviez déjà une épouse ; mais vous l'avez cachée dans la jarre et vous êtes ensuite allé me chercher pour m'épouser."
Le mari entra lui-même dans la cuisine pour voir ce qu'il en était ; il ouvrit l'amphore et aperçut sa propre image ; il revint donc auprès de sa femme et s'emporta contre elle en lui disant qu'elle avait caché un homme ; tous deux étaient courroucés l'un contre l'autre, chacun d'eux pensant qu'il avait raison.
Sur ces entrefaites, un brahmane vint leur rendre visite. Il demanda quelle était la cause de la dispute entre le mari et la femme et alla à son tour regarder ce qu'il en était ; lui aussi vit sa propre image. Il s'irrita contre le fils du notable qui, pensait-il avait caché un de ses amis dans l'amphore, puis avait feint de se disputer avec sa femme ; aussitôt donc il s'éloigna.
Plus tard, une nonne, à qui le notable faisait des offrandes, apprit quelle était leur querelle ; elle voulut se rendre compte de ce qu'il en était, aperçut une nonne dans la jarre, et se retira elle aussi fort en colère.
Au bout d'un moment, un religieux vint à son tour regarder et comprit qu'il s'agissait d'un reflet. Il s'écria en soupirant : "Les hommes de ce monde, ignorants et stupides, prennent le vide pour la réalité." Il appela donc le mari et sa femme pour qu'ils viennent ensemble regarder. Le religieux dit : "Je vais faire sortir pour vous les gens qui sont dans la jarre." Il prit alors une pierre et la brisa ; quand le vin se fut écoulé, il n'y avait plus rien. Aussitôt l'intelligence de ces deux personnes se dénoua ; elles comprirent qu'elles avaient eu affaire à un reflet de leur propre corps et chacune d'elles fut pénétrée de confusion.
Le Bouddha fit de cet anecdote une parabole. Ceux qui voient leur ombre et se disputent représentent les trois mondes, ne connaissent pas les cinq agrégats, prennent leurs illusions pour la réalité et sont emportés sans fin dans le cycle des naissances et des morts.

 

Les deux frères et leur or
Il y avait jadis deux frères, l'aîné et le cadet, qui se mirent en route portant chacun dix livres d'or, et personne d'autre ne les accompagnait. L'aîné se dit : "Pourquoi ne tuerais-je pas mon cadet pour prendre son or? En ce chemin désert, personne ne le saurait." Le cadet à son tour se dit : "Je vais tuer mon aîné et lui prendre son or." Les deux frères avaient chacun de mauvais desseins ; leurs paroles et leurs regards divergeaient.
Mais les deux frères revinrent à eux et éprouvèrent du remords : "En quoi différons-nous des démons et des animaux ? Nous sommes frères nés des mêmes parents et, pour un peu d'or, nous éprouvons l'un pour l'autre de mauvais sentiments."
Ensemble ils arrivèrent au bord d'une eau profonde. L'aîné prit son or à lui et le jeta dans l'eau. Le cadet dit : "Bien, bien!" et à son tour, lança son or à l'eau. L'aîné dit aussi : "Bien, bien!"
L'aîné et le cadet se demandèrent l'un à l'autre pourquoi ils avaient dit que c'était bien, et chacun répondit à l'autre : "A cause de cet or, nous éprouvions de mauvais sentiments et nous voulions nous tuer mutuellement. Maintenant que nous en sommes débarrassés nous disons que c'est bien, et nos deux avis concordent."
C'est pourquoi on sait qu'il faut toujours abandonner de soi-même les richesses, causes de mauvais sentiments.